mercredi 16 décembre 2009

La rue Myrha : Aller simple Paris → Casablanca en une station de métro

Le restaurant JCasher coincé entre la boucherie Hallal et le magasin de Caftan, le vieillard voûté qui rôde près de la mosquée de quartier en attendant l'heure de la prochaine prière, la boutique pleine du sol au plafonds de tout un bric-à-brac d'articles plus ou moins cher et de plus ou moins bonne qualité : tout y est. Il ne manque que le minaret et son appel à la prière et une augmentation conséquente de la taille de la rue et de ses bâtiments. La rue Myrha, dont la réputation nocturne n'est plus à faire, tient dans la journée une place si différente qu'elle semble venue d'un autre monde. Aux connaisseurs des milieux illicites, la rue Myrha n'évoque qu'un lieu courant de vente de krak. Il n'en est pas de même pour les habitants du quartier qui n'y viennent que dans la journée pour acheter des produits tout à fait légaux comme les poules et les œufs du magasin de volailles vivantes. À une heure, les restaurants se vident tandis que la mosquée se remplit. Seul le restaurant Cacher "chez Guichi" commence à peine son service. Le patron du restaurant explique "lui, en face, est pakistanais, l'autre est algérien, moi je suis juif, on n'est pas du même monde, même si je suis là depuis très longtemps c'est pas comme si on avait été élevé ensemble". Il ajoute en parlant de l'activité nocturne de la rue "c'est toujours pareil : une bande s'en va, une autre prend le relais, ça change tout le temps ; mais c'est toujours la même chose, un peu comme les commerces ici : les patrons changent tout le temps mais les magasins vendent toujours la même chose."

Pour ceux qui ont visité ou habité le Maghreb, venir manger dans un des petits restaurant de la rue ne pourra que les rendre nostalgiques. Dans un parfait effet madeleine de Proust à l'algérienne, ils se retrouveront à la première bouchée dans un bouiboui du bled étrangement ressemblant à celui de la rue Myrha. D'ailleurs, les vendeurs de cigarettes à l'unité regroupés à la sortie du métro n'ont fait que les conforter dans leur impression.

Comme "là-bas", traverser la rue de bout en bout n'est pas forcément une chose évidente. Entre le camion de livraisons du boucher dans lequel se côtoient carcasses de bœufs et casse-croûtes des employés et les motards qui roulent en sens interdit aussi vite qu'ils le peuvent pour éviter d'être trop longtemps dans l'illégalité, il devient ardu de se frayer un chemin. De nombreux chantiers sont animés par les marteaux piqueurs, les papiers peints à fleur des appartements détruits encore accrochés aux immeuble mitoyens et Aznavour écouté à tue-tête par des ouvriers qui n'ont pas l'air de trouver leur activité si formi-formi formidable.

L'appétit satisfait et la rue parcourue, il ne resterait plus qu'à effectuer une promenade digestive dans le square Léon non loin de là. Cependant, il est 15h heures et la fréquentation du parc à déjà changée, ce qui encourage peut-être plus les visiteurs à faire demi-tour et à flâner dans les rues voisines. C'est à ce moment seulement que la pharmacie casi-blindée devient frappante. Protégée par une grille, chaque vitrine est masquée par des verres occultants et une large grille supplémentaire est prête à être baissée à la fermeture. L'angoisse n'est pourtant pas le maître mot de l'atmosphère de la rue ; l'ambiance est plutôt bonhomme, populaire, et vivante. Difficile d'imaginer que dès 18h les habitants du quartier hésiteront à sortir de chez eux.

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