vendredi 27 février 2009

AU CAFÉ DU PORT

    Dans le fond d'un vieux café, à la nuit tombante, rumine un vieux loup de mer. Il est là, amer, vexé de ne pouvoir sortir en mer. Vêtu d'un paletot usé par les vents marins et d'une casquette délavée, il déguste à petites gorgées, un grand bock de bière. Courbé, il porte les lèvres à son verre, tout en fixant un couple au fond de la salle. Une demoiselle discute violemment avec un jeune loup qui lui renvoie hardiment une salve de mots à la figure. Les yeux de louve de la jeune fille ne sont plus qu'une braise attisée par la colère. Leur dispute n'étonne personne car c'est toujours entre chien et loup que les tensions reviennent.
    Le vieux loup de mer, toujours derrière son verre, continue son tour d'horizon. Voilà plusieurs heures qu'il passe, assis là, observant la vie des hommes et des femmes qui vivent au rythme des marées et des passages au café. Il revoit par la fenêtre, sur la côte, le bateau avec lequel il a louvoyé toute la journée; il a lutté dans son bateau rouillé pour rejoindre son port. Mais le vent n'était pas avec lui et il n'a pas pu atteindre son but. Il se retrouve maintenant coincé au cul-du-loup dans un bar miteux fréquenté par les pêcheurs, les ouvriers de l'usine et les âmes perdues. Au comptoir, une belle femme essuie machinalement les verres. Elle a la figure de celle qui a vu passer toutes les misères humaines devant ses yeux et qui les comprend. Voilà sûrement plusieurs mois  qu'elle attend patiemment que l'homme accoudé au zinc se jette dans la gueule du loup et l'invite. Il ne sait pas encore qu'elle acceptera, alors il reste là, muet, tous les jours.  
    Une meute d'ouvriers fait son entrée dans le café. Ils ont une faim de loup et le gosier à sec et commandent d'emblée des bières et le plat du jour : dinde farcie aux vesses-de-loups. Leur journée a dû être longue, ils ont l'air fatigué et sale. Ils sont bruyants et brusques et commentent vulgairement les affres de leur journée de travail. Chacun y va de sa complainte et de son insulte aux autorités.
    Tout  à coup, le café est silencieux. Un homme a fait son entrée, il porte un costume bien trop chic pour l'établissement et pince entre ses fines lèvres une pipe en ivoire encore fumante. Il doit être connu comme le loup blanc pour que chacun se taise de cette façon. Il va au comptoir, demande un whisky, et l'avale cul-sec. Tel un loup dans la bergerie, il scrute chaque recoin de la salle comme à la recherche de sa future proie.
    Le jeune couple s'éclipse à pas de loup vers la sortie, effrayé par l'homme au costume  qui leur rappelle soudain que l'homme est un loup pour l'homme. Les voyant partis, l'homme au whisky se retourne vers le bar et les discussions reprennent.
    Plus tard dans la soirée, le vieux loup de mer, toujours assis à sa table, aperçoit sous le soleil des loups quatre hommes étranges. Ils marchent à la queue du loup, en ordre de taille et tiennent tous en main de longues barres de fer. Pour ne pas crier au loup, notre homme ne dit rien et observe.  Ce soir pour une fois, les loups semblent oublier qu'ils ne se mangent pas entre eux parce que les quatre hommes entament une bagarre enragée. Attirée par les faits divers, la moitié du café sort dans le froid de loup pour observer la scène.
    Les plus apeurés demandent les forces de l'ordre, quand on parle du loup, on en voit la queue : Une voiture de la police fait son entrée avec force sirènes, gyrophares et autres mises en garde. La lune n'a rien à craindre des loups, les policiers n'ont pas besoin de défense pour obtenir le calme et emmener les hommes au poste. L'évènement ne fait qu'attiser les conversations qui vont bon train. Le loup de mer fatigué par l'excitation ambiante et peu enclin à hurler avec les loups, se retire.

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