mardi 24 février 2009

PREMIERS MOTS

    Les premiers mots d'un livre. Je ne sais pas si ils sont les plus importants mais ils conditionnent en tous cas la lecture d'un nombre conséquent de lecteurs. Il n'y a pas de formule, de règle, chaque première phrase est originale et unique. La qualité des premiers mots repose principalement sur "le déclencheur de curiosité". De nombreuses premières phrases ont marquées des générations qui n'ont même pas forcément lu le livre, le meilleur exemple est certainement : « Longtemps je me suis couché de bonne heure. ». Qu'est-ce qui fait de cette phrase un sujet récurrent de quizz de culture générale ? Est-ce la renommée de l'auteur ? alors je vous défie de me donner la première phrase du temps retrouvé du même auteur. Est-ce parce qu'un nombre important de personnes a lu ce livre ? Vu sa difficulté, j'en doute.
    En réalité cette première phrase montre à quelle point écrire une phrase peut être un art. Quelques mots, correctement agencés, sont tels une toile ou une séquence cinématographique : tout compte pour que l'équilibre ne soit pas rompu, pour que la personne qui reçoit ces mots soit emporté dans la suite mais surtout pas emmené de force. Il existe des milliers de style de premières phrases elles ont toutes un effet différent mais qui, si le livre est de qualité, font entrer le lecteur dans un monde qu'il ne quittera qu'en refermant le livre.
    Certaines nous plongent dans un décor : « L'intérieur d'un petit bar sur le Vieux-Port, à Marseille. à droite le comptoir. Derrière le comptoir, sur des étagères, des bouteilles de toutes les formes, ornées d'étiquettes bigarrées » (Marcel Pagnol, Marius), d'autres nous plongent brutalement dans le personnage principal : « Aujourd'hui maman est morte. » (Albert Camus, L'étranger), d'autres encore nous plongent dans une conversation avec le narrateur : « Appelez-moi Ismahel. » (Herman Melville, Moby Dick).
    Certains premiers mots font lever les sourcils du lecteur qui a alors hâte de lire la suite pour avoir un éclaircissement : « On s'en veut quelquefois de sortir de son bain. » (Jean Echenoz, Ravel), « Doukipudonktan, se demanda Gabriel excédé. » (Raymond Queneau, Zazie dans le métro).
    Enfin, dans certaines œuvres, la première phrase dégage une force capable d'ébranler le lecteur : « Chante, déesse, la colère d'Achille, le fils de Pélée, détestable colère, qui aux Achéens valut des souffrances sans nombre et jeta en pâture à Hadès tant d'âmes fières de héros, tandis que de ces héros mêmes elle faisait la proie des chiens et de tous les oiseaux du ciel, pour l'achèvement du dessein de Zeus. » (Homère, L'Iliade), « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. » (La Genèse de la Bible) ou encore « Deux familles, égales en noblesse, Dans la belle Vérone, où nous plaçons notre scène, Sont entraînées par d'anciennes rancunes à des rixes nouvelles où le sang des citoyens souille les mains des citoyens. » (William Shakespeare, Roméo & Juliette).
    Au lieu d'un résumé ou d'un synopsis, la première phrase des livres pourrait être notre premier critère de choix : elle donne le ton, révèle la plume de l'auteur, attise la curiosité ou laisse froid. Certains mauvais lecteurs choisissent leurs lectures en lisant la dernière phrase voire la dernière page, ils ne veulent pas se laisser surprendre; seul les courageux ne liront ni la fin, ni le résumé, ni la quatrième de couverture, et ceux-là profiteront le mieux du livre. En tout cas si la première phrase fonctionne.
    Les premiers mots d'un livre sont comme les premières bouchées d'un repas. Si elles nous laissent un mauvais goût, tout le reste du repas est fichu. À l'inverse, une bonne mise en bouche prépare les sens à accueillir le reste du repas de la meilleure des manières, de bons premiers mots ont le même effet. Certains diront qu'un bon livre nécessite une belle reliure et un bon titre mais, à l'aire du livre de poche, je dirais plutôt qu'un bon livre nécessite avant tout une bonne première phrase. Vous me rétorquerez sûrement qu'un mauvais dessert gâche un dîner entier et que les dernières bouchés si elles sont mauvaises laissent un arrière goût définitif pour l'ensemble du repas. Cependant, si tout un repas n'a été que délectable pour les papilles se n'est pas grâce aux dernières bouchées mais bien grâce aux premières. Ce que je veux dire, c'est que le moment de la lecture est conditionné par la première phrase et le plaisir du moment se joue dans les premiers mots, c'est pourquoi, à mes yeux, ils sont les plus importants.

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