lundi 2 février 2009

CERTAINS HOMMES MÉRITENT QUE L'ON PARLE D'EUX

L'histoire d'Albert Hénin-Ranoult par Marie Solignès d'après le texte d'Albert Hénin-Ranoult.

    « Je m'appelle Albert Hénin-Ranoult. Je suis né le 26 mars 1905 à Bregenz d'un père militaire français et d'un mère boulangère autrichienne. Ma mère souffre pendant de longues années après ma naissance des conséquences d'un accouchement difficile tandis que mon père est absent la  majorité de l'année puisqu'il est officier dans l'Armée française. Nous retournons en France pour mes sept ans, à la mort de ma mère. C'est l'âge auquel j'ai écrit ma première pièce de théâtre : le petit théâtre de la Saint-Vincent.
    Élevé en internat au collège des dominicains de Bordeaux, je suis une éducation stricte et traditionnelle. Mon père, nommé au poste de général pendant la première guerre mondiale, meurt en 1917 alors que je ne l'ai pas vu depuis 4 ans. Ce décès est pour moi la fin du bonheur et de l'enfance et le début d'une période d'écriture florissante.
    Un de mes camarades de classe, Antoine Du Pont-Valier devient vite mon meilleur ami. Accueilli par sa famille, je suis des études de littérature et d'histoire. Nous avions pour projet d'aller nous installer aux États-Unis pour enseigner l'histoire et la littérature française dans les grandes universités; malheureusement, Antoine est atteint de phtisie et meurt à l'âge de 20 ans. Je quitte alors Bordeaux dans l'espoir de pouvoir y laisser mon chagrin et je m'installe chez une cousine de mon père, à Brignais. La cousine, mère de huit enfants, m'accueille dans sa famille comme son propre fils. C'est à ce moment là que, encouragé par mes hôtes, je décide d'essayer de publier quelques uns de mes ouvrages sous le pseudonyme Antoine Belhurrant en hommage à mon ami.
    Malheureusement, mes pièces de théâtre ne connaissent pas plus de succès que mes romans. On me reproche ma trop grande simplicité et la tristesse qui ressort de mes livres. Pourtant, un éditeur parisien me promet un avenir à succès grâce à un roman policier : L'ombre du Big-Ben. Il me vole le manuscrit et publie le livre à son nom. Il se vendra à plus de 10 000 exemplaires. Après une lutte en justice qui se termine par un échec, je m'installe à Montmartre en 1928 où je rencontre Marie Solignès, également femme de lettre, que j'épouse deux ans plus tard. Encore rongé par le chagrin et par mon insuccès, je tombe dans les affres de l'alcoolisme. Ma femme me quitte juste après la naissance de notre premier enfant et s'enfuit avec elle en Amérique durant l'hiver 1931. J'écris par la suite un recueil de poèmes dédié à mon ex-femme intitulé Puisque tu n'es plus là. Cette dernière, journaliste renommée aux États-Unis, revient à Paris dans l'unique intention de descendre mes textes qui effectivement ne connaîtront aucun succès. En 1935, j'abandonne l'écriture et deviens conducteur de bus. Je me remarie avec la fille de mon patron qui me donne deux fils avant de mourir en couche en juin 1938. Mes beaux-parents me gardent chez eux avec mes enfants alors que je sombre dans la dépression. Je me remets progressivement et reprends le travail en décembre 1940. Appelé au front en 1941, je me prépare à mourir et c'est pourquoi j'écris cette autobiographie. »
    Il meurt au combat le 2 février 1942. Son beau-père trouve dans ses affaires le petit théâtre de la Saint-Vincent, il s'en attribue la création et le fait mettre en scène au Théâtre de la Huchette en 1952. Cette pièce remporte un grand succès même si ce succès est plus due à l'excellente mise en scène de Georges Vitaly qu'au texte lui-même. Au bout de deux ans, la belle-mère d'Albert découvre les manigances de son mari qui s'était ainsi attribué trois autres pièces de son gendre ( La boulangerie Saint-Martin, Le belvédère et l'amour au pas )  et révèle la vérité. Ce scandale ferme les portes du théâtre non seulement au beau-père mais aussi aux œuvres d'Albert Hénin-Ranoult qui ne seront plus jamais mises en scènes  ou publiées. La belle-mère d'Albert qui était très attaché à son gendre essai de retracer son existence pour la mémoire de ce dernier et me contacte. Touchée par la volonté de cette dame et par le remord de n'avoir jamais parlé  à ma fille de son père; je décide d'écrire sa biographie. En faisant mes recherches, je tombe sur la lettre autobiographique d'Albert qui me touche par la façon dont cette vie si pathétique est contée : simplement, sans plainte ni désespoir. J'ai donc préféré publier ce texte tel qu'il est. Merci à toi, Albert.

1 commentaire:

  1. "Je me remarie avec la fille de mon patron qui me donne deux fils avant de mourir en couche"
    Splendide !

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