mercredi 11 mars 2009

UNE JOURNÉE EN PROVENCE

    La terrasse de graviers était certainement son coin de Provence favori. Six platanes vieux de nombreuses décennies venaient ombrager ces petits graviers blancs auxquels on ne s'habitue pied-nus qu'après quelques jours d'été. Le soleil matinal avait déjà réchauffé la façade du vieux mas. La table et les chaises en fer blanc commençaient à rouiller mais restaient l'endroit idéal pour déguster un copieux petit déjeuner.
    L'air avait un goût de vent et de chants de cigales et les rayons du soleil venaient frôler habilement les parcelles de peau dégagées par les vêtements légers qu'il portait. Pour mieux en profiter il avait clôt ses paupières mais le décor qui s'offrait à lui avait été imprimé dans sa mémoire depuis de longues années.
    Après un petit muret et une volée d'escalier, une petite vigne et la petite route. Cette route pleine de trous et de bosses menaient au petit village que l'on voyait bien, adossé à la colline d'en face. La place du marché, si bondée le dimanche, accueillait le reste de la semaine les joueurs de pétanques. La poussière de la place de terre venait les envahir et les fondait dans le paysage. Ils finissaient la journée blanc et toussotant mais revenait le lendemain matin, au même endroit. Qu'importe les autres espaces disponibles, moins ensoleillés ou moins pleins de poussières, ils revenaient systématiquement, tout les jours, depuis des années. Les copains d'abord pouvaient ranger leur embarcation, ils n'étaient rien à côté de ces provençaux.
    Ils s'emportaient contre le cochonnet pour donner plus de vie à leurs parties. Mais leur accent aurait suffit à donner de la couleur à un film en noir et blanc. Jeunes et vieux s'affrontaient toujours au même rythme et les années ne s'apercevaient même plus que les jeunes étaient devenus vieux. La mort, grande sentinelle, n'approchait pas cet espace à part et gardait ses distances jusqu'au samedis d'automne qui laissaient partir sur la place les défunts conduits vers le cimetière.
    Les plus étrangers parlaient avec le plus de verve, enfin libérés des convenances urbaines. Galéjade n'était plus seulement un bon mot de Scrabble et prenait vie sur ce terrain foulé par les générations. La majorité masculine n'empêchait en rien la circulation des nouvelles à la cadence des salons de coiffures. On riait des amourettes estivales des jeunes gens, on organisait les prochains rendez-vous galants et on rêvait de conquêtes impossibles.
     Les olives, le saucisson, le pastis et la tapenade circulaient d'heure en heure, ponctuant les parties ou réglant les nombreux conflits d'arbitrages. Le jeu, tout sacré qu'il était, ne venait qu'en second rang après les discussions fleuries autour d'une bouteille de jaune rafraîchie par l'eau de la petite fontaine.
    Il arrivait que les orages du mois d'août viennent perturber le quotidien de ces joueurs de pétanques qui se métamorphosaient alors en piliers de comptoir ou joueurs de contrée dans le café de la place. Mais cette métamorphose n'était généralement que pour une journée et tout rentrait dans l'ordre dès le calme revenu. Les insultes contre la petite bille de bois résonnaient de nouveau sur le parvis de l'église et tous étaient rassurés de retrouver les journées d'été qu'ils connaissaient.
    Quand ils restaient après la tombée de la nuit. Les terrasses du restaurant et du café devenaient de fervents supporters, le restaurant pour les jeunes, le café pour les vieux. À la fin de la partie, quelque soit le vainqueur, le patron du café offrait un verre et il arrivait que l'on danse si l'humeur et la musique y étaient.
    Un courant d'air un peu plus frais lui fit ouvrir les paupières et il revint à la réalité de cette fin de matinée. Au loin, il entendait bien les joueurs de pétanques rire de bons coeur aux coups maladroits des joueurs moins expérimentés du début de cet été. Un sourire vint se dessiner sur ses lèvres et il referma les paupières. Il s'était encore déplacé sur cette petite place par la pensée et y voyait les étapes d'initiation des petits nouveaux. Le niveau de jeu n'avait aucune importance, vu le nombre d'heures qu'ils allaient y passer pendant l'été, ils finiraient au même niveau ou meilleur que tous. Il fallait simplement montrer que « une partie de pétanque, ça fait plaisir ! ».

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